Les 14 propositions Fillon et le document de travail qui a suivi s’inscrivent dans une vision minimaliste de la culture scolaire. Sous un alléchant vocabulaire qui sans nul doute fera des adeptes, les mots «faire réussir tous les élèves », « contrat individuel de réussite éducative », soutenir les plus faibles », « égalité des chances » (pourquoi « des chances », égalité ne suffit pas ? ) cachent une forte volonté de réduire l’offre de formation et de ne pas afficher des objectifs ambitieux pour tous-tes.
Sous le « socle des fondamentaux » (lire, écrire, compter, se tenir droit), de nombreux savoirs concourrant jusqu’à présent à une formation équilibrée et riche, vont s’amenuiser, remettant en cause, non seulement la participation à la construction d’individus harmonieusement cultivés, mais également à une restriction sans précédent de la fonction de l’école et des savoirs qui y sont aujourd’hui dispensés.
De quel point de vue l’école est-t-elle discutée ?
- Aux inégalités de résultats, il répond par une inégalité d’objectifs
- A la socialisation, il répond par l’individualisation et la personnalisation, et par une « note de vie scolaire »
- A l’appropriation de la culture (des cultures), il répond par un socle fondamental.
- A la question de la culture commune, il répond par « un portefeuille » de matières au choix de l ‘élève.
- A la question des moyens, il répond par les milliards dépensés.
Sur ce dernier aspect, l’enseignement de l’EPS pour tous-tes, garant d’une culture commune physique et sportive, acquis de haute lutte (horaires, équipements, programmes), se fragilise. Une discipline scolaire peut-elle perdurer sans évaluation ? Ainsi, ramener l’enseignement aux seuls choix des élèves (de leur famille ?) ne porte-t-il pas les germes d’un consumérisme scolaire renforcé ? Comment empêcher que la fonction des disciplines du « porte-feuille » ne soit pas exclusivement soumise à l’obtention du diplôme ? quid de la dimension éducative et des enjeux de leur appropriation ? Le changement de sens d’une discipline scolaire n’est pas loin, le résultat final obérant tout autre motif de pratique.
Cette orientation contredit ainsi un certain nombre de déclarations d’intentions, par exemple « la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons ». En effet, compte tenu, aujourd’hui du décalage de résultats en EPS entre les 2 sexes, il y a à craindre du recul de pratique des filles qui vont jouer plus sûrement une carte de réussite plus évidente pour elles. Une nouvelle étape de discriminations va se mettre en place.
L’exemple de l’EPS, est révélateur d’une orientation à peine voilée : tous les élèves ne pouvant réussir toutes les activités pourront choisir celles qui correspondent le mieux à leurs « talents ». Chaque activité scolaire est ainsi soumise à des « valeurs d’usage » exclusivement orientée vers la notation. il ne s’agit pas « d’opposer une visée bassement utilitaire à une visée hautement culturelle »*, mais de pouvoir imaginer que c’est dans l’équilibre entre les 2 que se joue la pertinence des savoirs scolaires pour les élèves. Le retour fulgurant de « l’idéologie des dons » organise ainsi tout l’édifice sans que soit jamais posée la nature éminemment sociale de ces désirs et motivations. Il y a là un formidable enjeu de construction d’une école unitaire en voie de basculer à une différenciation (au non de « l’affirmation légitime des différences ») qui va reproduire la division du travail et les inégalités sociales.
L’heure est grave. La place de la culture physique et sportive est significative d’un niveau d’exigence des systèmes scolaires. Le recul serait d’importance, car il consacrerait d’une part de l’abandon de la prise en compte du corps dans l’école, d’autre part d’une réduction de l’école à quelques techniques produisant des effets immédiats (peut-être ?) mais sans commune mesure avec ce qu’il faut mettre en place aujourd’hui pour acquérir une multitude de savoirs(ils sont exponentiels).
Demander aux élèves de choisir est une stratégie protectionniste dangereusement « eugéniste ». Cette stratégie comporte le risque évident de laisser les élèves dominés par leurs représentations et figés dans leur niveau. « apprendre, c’est changer »dit Develay, mais qui peut obliger à changer ?
Finalement, serait-ce maintenant les jeunes et leur famille qui doivent décréter les savoirs utiles à leur formation ?
Nina Charlier
*S.Joshua « l’école entre crise et refondation ».