En préambule : le paradoxe
Lorsque l’on m’a proposé de rédiger un article sur la mixité, par mail, j’ai pu consulter le carnet d’adresses des auteurs pressentis : 2 collègues hommes et 10 collègues femmes. Le problème est posé ! Si plus de la moitié des adolescentes déclarent aimer lire, seulement un quart des garçons l’admettent. Pour la pratique sportive, la tendance s’inverse avec deux-tiers de garçons et une petite moitié de filles.
Sur les 22 sujets proposés par la commission chargée du récent « Débat sur l’école », aucun n’aborde le thème de l’égalité des chances des filles et des garçons.
La mixité, une invention récente
La mixité à l’école ne va pas de soi. Sa mise en place est très jeune dans la République. Rappelons quelques jalons.
1924 : uniformisation de l’enseignement secondaire des filles et des garçons.
1957 : circulaire du 3 juillet sur le fonctionnement des premiers établissements scolaires mixtes.
1975 : loi du 11 juillet relative à l’éducation instaurant l’obligation de mixité dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire public (Décret d’application du 28/12/76).
1989 : la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet rappelle que la mission de mixité contribue à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes.
La mixité n’est donc pas qu’une simple forme de groupement, c’est une mission obligatoire, porteuse d’un projet. On ne peut pas s’asseoir dessus.
Pourtant des inégalités existent en ce domaine, et pas forcément celles que l’on pourrait supposer ! En 2001, 81.6% des filles ont obtenu leur bac général contre 76.4% des garçons. Même ordre de grandeur pour le bac technologique. Toujours en 2001, 61.8% des filles avaient l’âge normal en fin de troisième contre seulement 52.7% des garçons.
Au vu des statistiques, on peut dire que les filles réussissent mieux à l’école. Jusqu’au baccalauréat, car ensuite, les choses se gâtent. En effet, la réussite sociale des filles est bien moindre que celle des garçons : en 2002, le taux de chômage des filles de 20 à 24 ans était de 22% alors que les garçons de la même tranche d’âge affichaient 18%.
Il semblerait qu’en tant qu’enseignants, nous reproduisions des stéréotypes de genre entre nos élèves : les garçons pourraient toujours mieux faire mais ils sont turbulents, alors que les filles donnent le maximum de leurs capacités toutes laborieuses qu’elles sont.
En EPS, la tendance s’inverse, les filles sont en échec d’environ deux points d’écart avec les garçons au baccalauréat. Pourtant, quatre millions de femmes sont licenciées dans un club sportif, ce qui représente un tiers des pratiquants. Depuis trente ans, le nombre de femmes pratiquant un sport a été multiplié par cinq. Mais le compte n’y est pas encore. Nous sommes plusieurs à penser que l’école devrait être le lieu d’apprentissage d’un socle de la culture commune. Autrement dit pour l’EPS, les filles doivent se confronter à la gestion d’un rapport de forces, les garçons à des formes d’expression à visées artistiques.
Cas clinique : un lycée de la région parisienne
Jouer sur les formes de groupement dans la classe
En sports collectifs, particulièrement en volley et rugby, nous optons souvent pour l’alternance, dans un même cours : chaque élève appartient à deux équipes différentes. En volley, la construction d’équipes de niveau se superpose à un quasi démixage. Cette forme est surtout bénéfique pour les meilleurs, bien souvent des garçons. Mais les filles les plus motivées ont tendance à râler, car elles se retrouvent avec d’autres filles plus attentistes et passent leur temps à chercher le ballon dans les tribunes. Elles préfèrent goûter aux plaisirs d’une continuité du jeu assurée essentiellement par les garçons en équipes mixtes !
En rugby, des équipes filles et garçons mélangés permettent de créer le référentiel commun dans un jeu à engagement mesuré. Quelques moments de jeu en démixant permettent à chacun de s’engager plus franchement : oser plus pour les filles, ne plus avoir peur de faire mal pour les garçons, tout en bénéficiant des acquis en travail mixte. Le jeu avec des zones réservées sur le terrain (filles, garçons, mixte) est un compromis intéressant.
Le choix des APSA
Les élèves de seconde et de première sont soumis à la programmation établie dans notre établissement (les groupes classes sont conservés). Les élèves de terminale peuvent choisir parmi 4 menus, de 3 activités chacun. Nous proposons un menu plutôt « féminin » (danse, acrosport, tennis de table), deux plutôt « masculins » (volley, athlétisme, badminton et volley, tennis de table, escalade) et un « mixte » (natation, rugby, badminton). Mais ce dernier menu « mixte » interfère avec le thème de la mixité sociale et culturelle. Autrement dit, les filles sont capables de nager aussi bien que les garçons, à condition qu’elles soient issues des catégories socio-professionnelles ad hoc . Un effort est fait pour ne pas trop désavantager les filles, mais nous devrons aller plus loin encore en ne proposant que des menus « mixtes », afin de préserver une réelle mixité dans les groupes. Nous recherchons à aller vers une égalité des résultats mais pas encore à un partage d’une culture commune. Il est vrai que l’année du bac…
Les modes d’entrée dans l’APSA
Pour les classes mixtes de seconde et première, nous enseignons avec plaisir quelques APSA qui pourtant sembleraient guère s’y prêter. Pour cela, deux concessions sont à faire : choisir une APSA peu pratiquée et par les filles et par les garçons ; ne pas avoir trop de principes rigides sur les formes possibles de l’APSA choisie. La boxe française permet l’entrée par les assauts et/ou par les duos. La « danse » peut faire appel à la gym, à l’acrosport, aux arts du cirque, au mime, etc. L’acrosport peut revêtir une certaine dimension artistique dans laquelle les « voltigeuses » peuvent entraîner les « porteurs » vers des trésors de créativité ! Les garçons peuvent être très « créatifs », mais il faut leur permettre de prendre leurs marques : humour, adresse, équilibre, force… Le top du top, c’est de pratiquer le tutorat, et, quand la fille fait la prof pour un garçon en danse et que la réciproque se réalise en tennis de table, c’est que du bonheur !
La vie de classe
Autour des APSA, il y a le groupe classe et la dynamique nécessairement engendrée. L’enseignant joue un rôle prépondérant dans la caractérisation du climat de classe. Il faut faire la chasse aux lieux communs. L’école n’est pas qu’un lieu de reproduction, mais aussi un terrain de transformation !
Conclusion
Une étude récente montre qu’en 2040, les femmes toucheront des pensions inférieures de 29% à celles des hommes. Actuellement, 8 hommes sur 10 liquident leur retraite à taux plein, mais seulement 4 femmes sur 10. La loi sur les retraites contredirait-elle celle sur l’éducation ?!
L’école doit mettre en perspective le paradoxe suivant : l’apparente réussite des filles ne doit pas masquer leurs réelles difficultés dans leur insertion professionnelle. Il faut donc réfléchir avec l’ensemble des élèves sur les stéréotypes, mettre à profit la mixité scolaire, terreau du respect des différences dans la recherche de parité.
La mixité n’est pas une formule magique en soi : il ne suffit pas de mélanger pour obtenir un bon cocktail, le coup de cuillère est crucial. L’enseignant devrait être attentif et « travailler » ce support, sous peine de laisser faire ce qu’il ne souhaite, en général, pourtant pas. La mixité à l’école ne devrait pas être vécue comme une contrainte, mais comme un ferment pour faire lever une culture partagée, au même titre que les mixités sociales et culturelles. La mixité ne devrait pas être éludée, au risque de lâcher la bride à un « libéralisme », non pas galopant, mais plus sourdement rampant.
Claude-André Boutigny
claude.boutigny@wanadoo.fr