Hier, j’ai encore donné un cours particulier. Heureusement, c’est pas tout le temps. Sinon, ça fait 40 Euros de l’heure, soit près du double pour mon employeur, l’Etat. J’ai calculé. Et c’est dans ces moments que le doute s’installe : dois-je renoncer au forfait ?
Cette année, c’est en natation, au creux de la vague du mois de mars : mes terminales ont terminé leurs épreuves de natation au bac, ils bûchent maintenant les autres matières…me reste une élève de seconde, qui a fait l’AS natation au collège, et qui n’entend pas en rester là…
J’ai l’habitude. Une fois j’ai eu l’idée de proposer du base-ball, fort d’un stage FPC remarquable. J’étais lanceur, Jérémie batteur, et Gontrand aimait bien ramasser les balles…dès le mois d’octobre, ça pleuvait dur, et on est rentré au chaud. Foirade complète…
En ce moment j’essaie de lancer une AS jonglerie, sur le temps de midi. Un groupe de copines s’est inscrit. Nous nous retrouvons dans la confidentialité. Attention, une de perdue, le groupe en fuite !…
Que vais-je faire l’année prochaine : yo-yo, bilboquet à trois trous, grande cornemuse écossaise (ça vaut largement un footing…) ? Jusqu’où dois-je déconner ?
Heureusement, je fais plein d’autres choses, Je suis le zappeur de la bande. Par exemple, l’an dernier à mon palmarès : cours particuliers en tennis (quand il fait mauvais temps) et collectifs (aux beaux jours) et tennis de table (en catimini), des équipes présentes aux compétitions de tennis de table, de tennis, de planche à voile, de voile. Accompagnement d’équipes d’athlétisme, de volley, de foot.
Quelquefois, je suis désœuvré : chômage technique ! Dans ces cas là, soit je m’absorbe mollement dans les comptes de trésorerie de l’AS (oh, c’est pas bien !…), soit il m’arrive d’aller faire un tour au Palais des sports. Si je vois plein de cars sur le parking, et c’est souvent, alors j’entre. Pas plus tard que la semaine dernière j’y découvre la grande salle envahie par des collégiens (joueurs, juges arbitres, spectateurs), des profs, des tables de ping, pas loin d’une trentaine… J’en prends plein les mirettes, les collègues me charrient, du genre : « Alors tu viens te ressourcer ? Passes plutôt la semaine prochaine, aujourd’hui, ce n’est qu’un entraînement… »
Pour me remonter le moral ? La thérapie suprême, le bain de jouvence extatique : le cross départemental. C’est extra. Des mômes partout, dans la boue. Engoncé dans mon ciré et droit dans mes bottes, ça m’ravigotte !
Quand j’en ai l’occasion, les compèts d’athlé aussi me regénèrent (NDLR : ça date, mais je ne l’oublie pas, je suis un pur produit du sport scolaire, en athlé plus particulièrement), lorsque je rappelle à des p’tits bouts d’choux en grappes comment il convient de maintenir une sphère de fonte pesante aux fins de la propulser le plus loin possible tout en se faisant plaisir, et que j’établis une liste d’attente pour les volontaires au secrétariat. Je boude un peu quand un « collègue » qui ne prends pas sa part au jury en rajoute un peu plus en me demandant de « virer » les plus faiblards, sous prétexte d’accélérer la procédure qui doit déterminer quels seront les qualifiés pour le prochain tour. Fort de mon (presque) quintal, je m’empresse alors de matérialiser un cordon sanitaire afin que la « ruche » de ces gamines et gamins puisse le plus tranquillement possible développer ce plaisir de performance qui pèsera en bon poids dans leur vie future. J’ai côtoyé des musiciens professionnels (instrumentistes et « professeurs ») qui se plaignaient de l’inculture musicale des français (autrement dit, ils ne venaient pas les écouter à leurs concerts). En parallèle et sans vergogne, ils faisaient tout pour prôner un enseignement élitiste de la musique, et se foutaient ouvertement de la gueule de nos collègues de musique oeuvrant tant bien que mal, il est vrai, dans nos établissements du second degré : y a un bug…mais je ne crois pas que l’on puisse en dire de même pour le sport scolaire, le retrait des propositions du rapport Leblanc l’indique clairement.
Donc, dans l’équipe, je suis le « bouche-trou ». C’est normal, je suis le meilleur…Les autres font du volley, du foot, du badminton, de l’athlé, des trucs qui marchent encore, quoi. Force est de constater que mes collègues, aussi basiques soient-ils (peuh !…) n’en triment pas moins sévère. A la réunion hebdomadaire de concertation, certains mois, c’est l’AS qui prend tout l’ordre du jour. Et là, il faut souquer ferme. Branle-bas de combat, toutes voiles bordées : qui fait quoi ? Où ? Comment ? Et il manque deux élèves dans une équipe, alors à la récré, on part à la pêche au grappin, on arraisonne deux moussaillons bien dégourdis et on leur file l’horaire du car pour la corvée de pont de mercredi prochain…
Les périodes de pointe, c’est les sports co (en février et mars), surtout qu’on gagne beaucoup !… et l’athlé (c’est-à-dire, de septembre à juin…) et là, on est un peu trop fort… Alors, on a du mal à joindre les deux bouts. Ca coûte cher, les championnats de France. La gestion de fait, un des arguments avancés dans le rapport Leblanc, ça nous fait bien marrer !…Sauf quand on se retrouve interdit de chèquier parce qu’on a trop débordé (ou plutôt que les subventions sont arrivées après les dépenses, laissant un trou béant, offrant l’éventuelle possibilité au trésorier d’un séjour à Bois d’Arcy (vue panoramique, et une orange à tous les repas).
Mes collègues font du chiffre, et je les admire. On est autour de 20% de licenciés, bon an mal an, ce qui est honorable pour un lycée. Je ne leur en veut pas de cet affront : c’est comme le gruyère, si il y a des trous, c’est donc qu’une matière les entoure! Et ce qu’on mange, ce ne sont pas les trous !…Par contre, ces trous font le charme du gruyère : « Ils participent de sa saveur en offrant au palais le plaisir indépassable d’une contradiction fondamentale entre le creux et le plein, véritable dialectique de la vie » (Gaston Bachemaigre, Trois toques au guide Micheton). En bref, le menu est vaste, il y a quelques amuses-gueule qui ne se délectent qu’avec la perspective des plats de résistance.
Alors, entre la poire et le fromage, on se dit que le sport scolaire dans un bahut, c’est sans doute un sport d’équipe : le forfait est individualisé, mais le contrat est global. De quoi ravir nos gestionnaires !
Et le dessert, me direz-vous ? C’est le retrait du rapport Leblanc. Comme une sacrée crêpe flambée au rhum !…Mais, attention au retour de flamme !…Le sport scolaire coûte cher, c’est vrai. Mais pas autant que les sommes détournées par quelques instances politiques qui nous gouvernent (je vous renvoie à l’actualité sur les procès intentés à certains membres du Conseil général et du Conseil régional)… Au total, il semble que nous fassions du bon travail (le sport scolaire ne s’est jamais fait « épinglé » pour quelque raison que ce soit depuis son existence de plus d’un demi-siècle, c’est Jules Lafontan qui nous l’a affirmé à la réunion du lundi 18 mars).
Nous contribuons certainement à la réduction de la « facture » sociale. Mais, les appétences d’un éventuel futur et probable fin gestionnaire en mal de promotion de carrière sont encore à redouter. Restons vigilants, continuons notre boulot, et, pourquoi pas, vantons-en plus les mérites!
En conclusion, permettez-moi de citer mon maître, Fernand Dupuy, un des plus fins pêcheurs à la mouche du siècle dernier (il élimait l’ardillon de l’hameçon, afin de ne pas provoquer d’hémorragie, et, bien sûr, il relâchait ses prises) : « On aura beau écrire cent et mille et d’autres hommages, jamais on ne parviendra à exprimer la réalité vivante de la truite, tant elle est changeante, insaisissable, fantasque ; jamais pareille à elle-même, ni dans l’instant qui suit, ni dans la lumière qui varie à l’infini, ni dans l’eau qui bouge, ni dans ses humeurs, ni dans ses réactions imprévisibles ».
Le sport scolaire est une truite vagabonde ?
Claude Boutigny, lycée des Sept Mares, Maurepas
Février 2003